Entretiens avec Zéro Edition #2 : Nicolas Gracias

Entretiens avec Zéro Edition #2 : Nicolas Gracias

Comment est né Abel Fourchaumes?

Il est né dans le plaisir consécutif à une longue souffrance, comme presque tous les livres, en tout cas presque tous mes livres.

D’où t’es venue l’idée de ce texte ?

Elle m’est venue lors d’un stage que j’ai effectué en entreprise il y a longtemps. Avec un banquier un peu fantasque. Il n’officie bien évidemment plus aujourd’hui…

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

C’est une question difficile car j’ai l’impression que les idées me tombent dessus plutôt que je ne vais les chercher, ou ne les identifie formellement. Mais ça peut être vraiment n’importe quoi, aussi futile et insignifiant que cela paraisse aux autres personnes : une image, une sensation, une perspective décalée, une parole que j’ai entendue ou que je n’aurais pas dû entendre, un fait divers délirant… En l’occurrence pour Abel il a quand même fallu que ça soit un peu plus consistant, je dirais que ça part d’un souvenir, celui d’un banquier inhabituel, et de la volonté de parler du monde de l’entreprise dans lequel je ne baigne plus depuis longtemps.

Qu’est-ce qui, globalement, va nourrir ton écriture ?

La vie, l’enfance, le rejet de la vie, la célébration de l’enfance, la célébration de la vie.

Comment as-tu choisi les deux-trois thématiques qui allaient s’intercaler les unes dans les autres dans Abel ?

Je ne sais pas si je les ai choisies mais elles se sont imposées à moi : la paternité (à cause du personnage d’Abel) ; le voyage, en tout cas dans une première partie ; et le jeu (ou pour ceux qui auraient tendance à ne pas trouver mon banquier très sérieux : le grotesque)

En y réfléchissant, je m’aperçois que le sujet du père est prédominant dans ce texte. Le père que l’on n’a pas eu. Le père que l’on voudrait avoir. La mort du père. Le père symbolique. La façon dont on s’acharne contre les pères dans notre société.

Presque tous les personnages masculins sont des déclinaisons différentes de ce père (Abel, Etienne Bouchéry, Guynathard…), vues dans leurs caractéristiques les plus nobles (c’est-à-dire fantasmées) comme dans leur faillite la plus généralisée. C’est peut-être ce qui le rend le livre aussi inactuel. C’est un livre paternel.

Qu’est-ce que tu retires de ce roman ? Qu’as-tu pu apprendre tout au long de son écriture ?

Que c’est dur d’écrire. Et que c’est encore plus dur d’essayer d’écrire bien (à supposer que j’y sois parvenu).

Pourquoi tu écris ? 

Pour respirer.

Ce texte fait-il la continuité de ton œuvre globale ou pas du tout ?

Il y a bien sûr une continuité dans ce que je fais, ne serait-ce qu’à travers la thématique de la désincarnation, qui irrigue plusieurs écrits, mais peut-être moins dans Abel Fourchaumes, justement, qui était une volonté de renouer avec une certaine incarnation qui me semblait de plus en plus s’effriter à mesure que le monde basculait dans le virtuel et la numérisation. Abel est un personnage qui a vraiment les pieds sur terre, aussi bizarre que cela puisse paraître : il n’est pas hors-sol.

C’est un personnage incarné, par son appétit, sa façon de prendre le monde à revers, ou en faisant un pas de côté, son goût du jeu et sa gourmandise en général pour les choses de la vie.

Pour Abel Fourchaumes, quels sont les auteurs / les oeuvres qui ont pu marquer le texte ? autant sur le fond que sur la forme.

Très clairement trois livres : Portnoy et son complexe, de Philip Roth (pour les obsessions sexuelles d’Abel) ; Pnine, de Nabokov (pour le côté badaud que l’on dupe) ; et Auto-da-fé de Canetti (pour les scènes de filature dans le ch.7)

Je le mentionne parce que je m’en suis aperçu en cours d’écriture, et pas rétrospectivement. On peut aussi voir dans certaines postures d’Abel la figure d’Ignatius J. Reilly de La conjuration des imbéciles mais je ne m’en suis pas inspiré consciemment.

Les auteurs qui ont marqué ta plume ?

Beaucoup d’auteurs mais sur le podium de ceux qui m’ont le plus marqué je retiendrai probablement : Nabokov, Proust et Kafka

Et dans un registre peut-être un peu moins intimidant : Walser, Lovecraft, Abeille, Amis, Tanizaki, Gombrowicz, Bolaño, Gracq, Pavese…

Les derniers auteurs que tu as découverts ?

Pierre Mérot, un auteur français dans la lignée de Houellebecq mais en plus pittoresque, que je recommande.

Et à l’international O, de Mikki Liukonnen, génie finlandais mort il y a deux ans à l’âge de 33 ans.

Un écrivain qui t’a déçu ?

Il y a trois auteurs que je trouve surestimés au vingtième siècle : Beckett, Perec et Volodine

(On remarquera que ce sont des auteurs français mais je suis souvent moins déçu par ce que je découvre à l’international, qui bénéficie du filtre de sélection de la traduction et où l’on prend de toute façon plus de risques)

As-tu un style reconnaissable aujourd’hui, avec sa patte, ses thématiques spécifiques, un fil conducteur ?

Ce n’est pas à moi de le dire mais je suppose que mes obsessions finiront par être reconnaissables, ne serait-ce que la désincarnation.

Pour la plume, il y a chez moi une indéniable volonté de circonscrire la Modernité dans les arceaux d’un style classique, pour ne pas qu’elle déborde, justement, par son inconsistance ou sa tendance « disruptive » à toujours fuir en avant.

Les mauvaises langues diront que c’est conservateur. Mais Abel est clairement un hommage au style classique  à ceci près comme vous l’avez très justement signalé dans un commentaire : qu’il n’est pas si classique que ça…

As-tu déjà un prochain bouquin dans les cartons ?

La question serait plutôt de savoir s’il y a un carton pour contenir les prochains livres.

Plus sérieusement : un recueil de trois textes courts intitulé Trois nouvelles désinvoltes.

Et une pièce de théâtre.

Nicolas Gracias

Auteur chez Zéro Edition avec Abel Fourchaumes (2025)

Nicolas Gracias est un écrivain né en 1974. Il écrit depuis l’âge de quinze ans. Il a toujours habité en banlieue parisienne mais il a beaucoup voyagé pour s’ouvrir les yeux, s’aidant pour cela de la grande disponibilité que lui accordaient les différents petits boulots qu’il enquillait sans perspective ni avenir.